Poteau de l'Histoire de Quartier

Avant-Propos

       Je rentre dans le bus avec ma dégaine de mec sans dégaine, style vestimentaire mi ghetto youth, mi classique, mi «  jeviensdemeréveillerlaissemoivivre ». Les gens me toisent et je les toise en retour. Sans haine ni mépris, juste le réflexe habituel du regard circulaire pour vérifier si «  ya quelqu’un », auquel cas je salam, et je vais m’asseoir un peu plus loin. Personne. Je croise rarement des têtes que je connais dans le 7 de toutes façons. C’est pour ça que je prends le 7 : je ne veux plus croiser personne. J’avance en m’accrochant aux barres pour ne pas tomber, et chaque virage un peu serré m‘envoie valser de l‘autre côté du bus. Les places du fond sont libres. Je me pose, mains dans les poches, et regarde le paysage défiler. Dans mon dos ma ville qui s’éloigne, et devant moi, une nouvelle vie qui s’ouvre, avec son lot d’épreuves, d’incertitudes et de doutes. Devant moi c’est la mort qui vient, au sens figuré comme au sens propre. Devant moi tout s’achève, et renaît - au sens figuré, comme au sens propre. Je me laisse porter par le courant sans savoir où la vie me mènera. Je ne sais plus où je suis, où je vais, ni comment. Je ne sais plus ce que je suis, ce que je deviens ou ce que je fais de ma vie. Personne ne le sait. Je sais juste que je viens d‘ici. J’ai fui.

       Mon nom est Hakim AKA Hashh, et je fus pendant plusieurs années l’une des plumes d’un quartier sans histoire, sous le pseudonyme peu original de HISTOIRES DE QUARTIER. Pendant plus de trois années, j’eus l’immense privilège de raconter ma ville devant des dizaines, puis des centaines de lecteurs et lectrices, des gens d’ici, comme des gens habitants de l’autre côté de la France, des amis proches comme de parfaits inconnus. Pendant plus de trois années, j’eus l’immense privilège de raconter ma vie à ceux et celles qui voulurent bien écouter, des gens d’ailleurs comme des gens d’ici, de parfaits inconnus comme des amis proches. Ce blog - car c’est d’un blog qu’il s’agit - fut sans aucun doute l’expérience la plus intense de toute ma courte vie. Animé d’un amour passionnel pour les miens, je forgeai mes lettres dans l’obscurité, au gré des émotions contradictoires qui faisaient battre mon cœur. J’inscrivis le tout dans une réflexion profonde sur la condition qui est la nôtre dans cette nation qu‘est la France, à moi et à ceux qui me ressemblent, et je jetai mon message à la mer, voulant y croire, mais sans trop espérer. Le résultat dépassa toutes mes attentes. En l’espace de quelques mois, je fus littéralement propulsé sur le devant de la scène, par le biais du bouche à oreille et du partage sur les réseaux sociaux. Je reçus des commentaires poignants à m’en transpercer le cœur, comme un contrecoup des cœurs que j’avais moi - même transpercés, sans le savoir. Je découvris la force de l’écriture et de la sincérité - car la sincérité était et est toujours, mon point de départ et mon idéal - et la formidable faculté à interpeller les consciences que la réunion des deux offre à celui qui tient la plume. Je déclarai ma flamme - au sens figuré comme au sens propre - , et à la lumière de ces mots, j’avançai dans mes ténèbres, vers ce qui devint au fil du temps mon seul et unique horizon. Je parle de tout cela avec la même passion que celle qui m’animait alors, mais en vérité aujourd’hui la passion n’est plus, comme le crépuscule qui flotte un instant sur l’océan, pour finalement couler et céder la place à une Lune pâle et froide. J’ai fui.

       OVERDOSE. Je ne trouve pas d’autres mots pour décrire le changement par lequel je suis passé. Je dois l’avouer pendant quelques temps je me suis mis à aimer ce semblant de «  notoriété » que m’apportait mes lettres, mais très vite mon naturel timide et réservé revint au galop. L’écriture démultiplia le poids déjà encombrant des relations interpersonnelles caractéristique des villes comme la mienne - ce fameux côté «  village »- , et comme une loupe, dévoila à mes yeux la laideur de nos ghettos. Mon côté marginal et solitaire n’en pouvait plus d’être HDQ aux quatre coins de la ville. Je voulais juste être moi, dans les yeux de mes proches. J’eus beaucoup de mal à admettre que ce qui fut le moteur de ma prose durant de longues années s’en était allé : l’amour de ma ville n’était plus. Le changement fut si brutal que j’en demeurai abasourdi pendant de longs mois. Et alors que j’écris cet avant - propos, mon esprit est encore groggy de cet assourdissant silence qui succède l’écriture. Je fus.

       Mais dans le fond est - ce une mauvaise chose que je ne trouve plus aujourd’hui la force d’écrire ? J’ai tellement voulu bien faire que certains en sont venus à avoir une bonne image de moi, alors qu’en coulisse les ténèbres et le vice faisaient dans mon cœur de l’ombre aux nobles qualités. A côté de ça j’ai vu mon égo littéraire s’enorgueillir des compliments qu’il recevait, à dix milles lieues de l’idéal de sincérité qui motivait mon écriture. La fin de cette épopée a au moins le mérite de mettre un terme à ces deux écueils. Je trainai ma peine de longs mois, en marge des murs de ma ville, évitant les grands axes, comme un loup que l’on traque. Je regardais mes blocs d’un œil éteint, le cœur mort. Il s’en fallut de peu que je n’enterrasse tout cela à jamais. Cependant, deux raisons m‘ont poussé à revenir et à publier ses nouvelles sous la forme d’un livre - en dehors de mon égo, ce satané égo. La première, c‘est ma mère. La seconde, c’est la volonté de partager avec d’autres ce fragment de mon âme qu’est Histoires De Quartier. Relisant ces nouvelles, j’avais le sentiment qu’il serait presque criminel de jeter par la fenêtre un tel message et de ne pas le partager. J’avais le sentiment qu’à l’époque où il vivait pour transmettre cet idéal mon cœur avait raison.

       Aujourd’hui il est aride et recroquevillé sur lui - même. C’est donc presque en étranger que je marche sur les traces de ce récit plein de vie. Mais comme cette histoire serait merveilleuse si la dernière personne que ces mots devaient toucher n’était autre que moi, et si au terme de ce livre que j’ai tant espéré je devais retrouver ma passion d’antan, et murmurer, comme pour moi - même, à l’abri de tous les regards : Je suis là.

















Bonne lecture,



HS.

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